samedi 6 octobre 2007

CRAVING FOR DESIRE / LES NOURRITURES TERRESTRES







Vous chercheriez encore longtemps
Le bonheur impossible des âmes.
Joies de la chair et joies des sens
Qu’un autre s’il lui plaît vous condamne,
Amères joies de la chair et des sens –
Qu’il vous condamne – moi je n’ose.





– Certes, Didier, philosophe fervent, je t’admire
Si la, croyance en ta pensée te fait à la joie de l’esprit
Croire aucune autre préférable.
Mais non pas dans tous les esprits se peuvent de telles amours.

Et certes, aussi moi je vous aime,
Mortels tressaillements de mon âme,
Joies du cœur, joies de l’esprit –
Mais c’est vous, plaisirs, que je chante.





Joies de la chair, tendres comme l’herbe,
Charmantes comme les fleurs des haies
Fanées plus vite, ou fauchées, que les luzernes des prairies,
Que les désolantes spirées qui s’effeuillent dès qu’on les touche.









La vue – le plus désolant de nos sens…
Tout ce que nous ne pouvons pas toucher nous désole ;
L’esprit saisit plus aisément la pensée
Que notre main ce que notre œil convoite.

Oh ! que ce soit ce que tu peux toucher que tu désires, Nathanaël, et ne cherche pas une possession plus parfaite,
Les plus douces joies de mes sens
Ont été des soifs étanchées.











Certes, délicieuse est la brume, au soleil levant sur les plaines
Et délicieux le soleil ;
Délicieuse à nos pieds nus la terre humide
Et le sable mouillé par la mer ;
Délicieuse à nous baigner fut l’eau des sources ;
À baiser les inconnues lèvres que mes lèvres touchèrent dans l’ombre…
Mais des fruits – des fruits – Nathanaël, que dirai-je ?









Oh ! que tu ne les aies pas connus,
Nathanaël, c’est bien là ce qui me désespère.
Leur pulpe était délicate et juteuse,
Savoureuse comme la chair qui saigne,
Rouge comme le sang qui sort d’une blessure.
Ceux-ci ne réclamaient, Nathanaël, aucune soif particulière ;
On les servait dans des corbeilles d’or ;







Leur goût écœurait tout d’abord, étant d’une fadeur incomparable ;
Il n’évoquait celui d’aucun fruit de nos terres ;
Il rappelait le goût des goyaves trop mûres,
Et la chair en semblait passée ;
Elle laissait, après, l’âpreté dans la bouche ;





On ne la guérissait qu’en remangeant un fruit nouveau ;
À peine bientôt si seulement durait leur jouissance
L’instant d’en savourer le suc ;
Et cet instant en paraissait tant plus aimable
Que la fadeur après devenait plus nauséabonde.
La corbeille fut vite vidée
Et le dernier nous le laissâmes
Plutôt que de le partager.







Hélas ! après, Nathanaël, qui dira de nos lèvres
Quelle fut l’amère brûlure ?
Aucune eau ne les put laver.
Le désir de ces fruits nous tourmenta jusque dans l’âme.
Trois jours durant, dans les marchés, nous les cherchâmes ;
La saison en était finie.
Où sont, Nathanaël, dans nos voyages
De nouveaux fruits pour nous donner d’autres désirs ?

Les nourritures terrestres, André Gide (1869-1951)

1 commentaire:

João Baptista a dit…

There are mens with such a luck